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Les photographies de Fabrice d'Alessandro sont issues de voyages ou longs séjours en Asie mais ce sont loin d'être des carnets de voyages. On ne saura rien de l'échange avec l'étranger, notre soif d'exotisme restera inassouvie. Exit l'homme d'affaire pressé de Shangaï lisant le Times dans son pousse-pousse.

La photographie de Fabrice d'Alessandro agit comme un extrait. Elle peut être perçue comme un morceau autonome, reçue comme une fin en soi, comme une petite totalité sans éprouver le manque de ce qui l'environne. Ou, au contraire, comme un morceau arbitrairement découpé dans un film ou un voyage, où l'on sent le geste de l'extraction comme coupe, suspense, légère frustration. Cette deuxième possibilité comme teasing  du désir de voir ce qui se trame entièrement. Baigné dans un flux constant d'images, il prélève des fragments –condensation d'une inscription plus précise et durable des images dans la mémoire. Les aspérités du monde, sa singularité, ne sont plus gommées ou aplanies par une vision d'ensemble. Voir un fragment détaché du flux narratif et de l'accoutumance visuelle qu'il provoque le rend à nouveau visible. Et finalement, le désir devient plus vif quand la fiction, la réalité ou l'histoire qu'il nous conte, n'est pas donnée tout de suite comme totalité à parcourir. La série des Intérieurs de 2004 est en cela significative.

Il photographie la palissade d'un chantier, le bord d'une piscine, une cabine téléphonique sans combiné, un hall d'hôpital… Non-lieux ou non-espaces architecturaux à l'intérieur de mégapoles asiatiques que la figure humaine a choisi de déserter. Il n'y a plus d'identification possible, la réalité s'échappe dans une vacuité assumée. Il sait isoler un détail qui rendra un paysage urbain organique, au-delà d'un réalisme superficiel. Dans ses paysages, devenus décors, tous les éléments présents et offerts ne se ramènent pas uniquement à leur somme mais il en surgit autre chose, d'imprévu, virtuel, indéterminé et indéfini. Il truque la réalité, fait s'agiter le banal tout en recherchant un équilibre presque classique et maintient aussi, en dépit du simulacre affiché, une certaine « densité » de réel.
Il nous inflige une errance dans des lieux battus, promenade visuelle ambiguë entre investigation policière (que se passe-t-il dans les images) et tentation de la seule contemplation. Fabrice d'Alessandro ne nie pas un attrait pour la beauté de l'image mais il refuse la précision froide et sans âme ; il est plutôt en quête d'un équilibre instable, dépassant la netteté iconique par un processus de corrosion qui ronge et sape la clarté du paysage (brumes, neiges, fumées de cheminées, nuit). Ainsi déréalisé, le paysage engage l'oeil dans un mode de perception troublé par l'inquiétude. Le doute s'installe.

Il dépasse la fonction indicielle de la photographie en insufflant à ses clichés une dose minimale d'étrangeté. Pourtant, aucune iconographie menaçante, mais la sensation de menace latente est indéniable, sans qu'on puisse véritablement identifier son origine , sinon dans quelques détails formels : clair-obscur, environnement flou, grandes étendues vides... Dans ce répertoire réaliste, on est tenté d'interpréter chaque objet comme l'élément d'un vocabulaire , mais les mots, une fois associés, ne forment pas systématiquement des phrases intelligibles, ne résolvent pas l'énigme, renforçant ainsi l'aspect intriguant de ses photographies.

Dans ces faubourg de villes asiatiques, les lumières (lampadaires, vitrines…) agissent comme une caisse de résonance, les lueurs blafardes semblent amplifier l'ordinaire bruit assourdissant de la vie (klaxons, moteurs, cris). Photographies de nuit, les prises de vues de Fabrice d'Alessandro se transmutent en temples dépouillés ou les sources lumineuses (écrans de télévision, enseignes) agissent comme des vitraux mais, paradoxalement, plutôt que de les égayer, les lumières colorées paraissent en renforcer l'austérité. Cette lumière ne dit que l'absence.
On peut se demander, au-delà de la séduction évidente de l'œuvre, au-delà d'un besoin de sacré qui nous entraîne souvent à imaginer une origine mystique dès qu'une lueur un peu trop forte apparaît dans une pénombre, ce que nous dit Fabrice d'Alessandro. Ses photographies sont des compositions extrêmement construites, architecturées, –quitte à agacer par un formalisme un peu gratuit– qui se montrent terriblement séduisantes pour l'œil et offrent d'intrigants objets de contemplation. Ce sont aussi des structures dramatiques qui deviennent des nécropoles ou règne un silence de mort. Mais, dans ces endroits vides, désertiques, sombres, la présence humaine est tout de même suggérée, ce qui laisse paraître, dans l'art de Fabrice d'Alessandro, une forme d'hésitation délicate et salutaire.


Bertrand Charles
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